Quand une MRS s'oppose à une demande d'euthanasie

Le tribunal civil de Louvain examine l’interdiction d’accès, faite par la direction d’une MRS catholique, à un médecin venu pratiquer une euthanasie. C’est la première fois que la justice se penche sur un tel cas, sous-tendu par une question centrale : une institution peut-elle refuser une euthanasie ? Jacqueline Herremans, présidente de l’ADMD, nous livre ses réflexions.

Le Tribunal de première instance de Louvain délibère actuellement au sujet d’une affaire portant sur le refus opposé par une maison de repos et de soins à ce que l’une de ses résidentes puisse bénéficier de l’euthanasie en ses murs. Mariette, âgée de 75 ans, était atteinte d’un cancer au poumon métastasé et, après avoir quitté l’hôpital, avait été amenée à la maison de repos et de soins de Saint Augustin à Diest. Devant le refus de la maison de repos de permettre au médecin traitant de pratiquer l’euthanasie, Mariette avait dû être transportée en son domicile.

La famille de Mariette a décidé de porter cette affaire devant les tribunaux afin de demander l’indemnisation pour les souffrances inutilement et injustement imposées à Mariette à la fin de sa vie. Mais au-delà de la question de l’indemnisation pour cette souffrance qui ne profitera certainement pas à Mariette, se pose la question de principe. Une maison de repos peut-elle s’opposer à ce qu’un de ses résidents puisse bénéficier d’une euthanasie en ses murs ?

Le statut du résident en maison de repos

Sans doute que pour Mariette, la maison de repos n’était pas son domicile effectif. En effet, elle avait été transportée dans cette maison de repos à la suite d’une hospitalisation. Mais dans la plupart des cas, les résidents n’ont plus d’autre domicile que la maison de repos. Il faut rappeler que les résidents en maison de repos bénéficient de la protection de la vie privée. Ceci vaut non seulement pour la question ultime de l’euthanasie mais aussi pour le respect de l’intimité de la personne, chose qui doit souvent être rappelée.

Que dit la loi relative à l’euthanasie?

La loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie prévoit une clause de conscience pour le médecin ainsi que pour toute personne impliquée dans une procédure d’euthanasie. Le fondement de cette clause de conscience est à mettre en parallèle avec principe fondateur de la loi permettant à un patient de demander l’euthanasie, à savoir l’autonomie de la personne. Au-delà même des principes, l’on ne peut concevoir qu’un médecin puisse être contraint à poser un geste auquel il n’adhère pas. Ce serait porter atteinte à un des buts poursuivis par le législateur, à savoir permettre à un patient de connaître une mort sereine, dans les meilleures conditions possibles pour lui et pour ceux qui l’entourent en cet instant de la séparation, tant chargé d’émotion.

Limites de la clause de conscience

La loi est relativement muette en ce qui concerne l’exercice de la clause de conscience. Seule obligation dans le chef du médecin qui refuse de pratiquer une euthanasie : transférer le dossier médical au médecin choisi par le patient. On peut imaginer les difficultés que cela peut poser en l’absence d’une information claire et cohérente lors de la demande d’euthanasie : demander l’euthanasie n’est pas une chose aisée d’une part et d’autre part, très humainement, le patient préférera attendre l’extrême fin avant de renoncer à sa vie. Il est dès lors très souvent dans une situation de faiblesse qui ne lui permet pas de réagir. Mariette, elle, a pu compter tant sur sa famille que sur le corps médical, en tout particulier sur le médecin traitant qui avait accepté sa demande.

A mon sens, la clause institutionnelle ne peut être ouverte qu’à des personnes physiques et non à une institution. Une institution peut-elle d’ailleurs avoir une conscience ? Ce faisant d’ailleurs, une institution qui déclarerait qu’en ses murs il n’est guère possible de pratiquer une euthanasie, se heurterait à la liberté thérapeutique du médecin. A l’argument qui consiste à dire qu’il n’existe pas de droit à l’euthanasie mais bien un droit à demander l’euthanasie, s’oppose la question de l’exercice de la liberté du patient d’exercer ses droits. Quelle est, en effet la réponse de ces institutions en ce qui concerne la possibilité pour le résident pour les MR et MRS, pour la personne hospitalisée pour les hôpitaux, en imposant un refus d’entendre toute demande d’euthanasie ? Les limites de la clause de conscience apparaissent dès lors très clairement : une institution ne peut s’arroger ce droit. 

Certains plaident pour que les institutions à tout le moins fassent preuve de clarté et de transparence. Néanmoins l’information concernant le refus d’entendre une demande d’euthanasie ne peut être la réponse. Le patient ou le résident sont en droit d‘attendre que les institutions respectent la liberté et les droits du patient. Ceci a d’ailleurs été concrétisé par l’arrêté royal du 9 mars 2014 concernant les normes pour l’agrément spécial comme maison de repos et de soins, comme centre de soins de jour ou comme centre pour lésions cérébrales acquises. Je ne citerai pas tous les articles de cet arrêté royal fort complet mais seulement la référence à l’article 6.h concernant les soins relatifs à la fin de vie portant sur les soins palliatifs et le respect de la législation en matière d’euthanasie et de soins palliatifs ainsi que du respect des volontés du résident concernant sa fin de vie et/ou de sa déclaration anticipée en matière d’euthanasie.

Cet arrêté royal est postérieur aux faits de 2011 portés devant le Tribunal de Louvain. Il est à espérer que cet arrêté royal donne un éclairage au Tribunal quant à la portée de la loi relative à l’euthanasie en maison de repos et en maison de repos et de soins et les limites de la clause de conscience.

Quelques réflexions finales

Le Tribunal rendra son jugement le 29 juin prochain. Cette décision revêtira une importance fondamentale. Si, comme je l’espère, le Tribunal se prononce contre le principe d’une interdiction énoncée par l’institution, cela permettra de mettre fin à une querelle sans devoir passer par les fourches caudines d’une loi interprétative. Est-il utile de rappeler que pour nombre de personnes, il n’existe pas réellement de choix de la maison de repos ou de la maison de repos et de soins. De nombreux facteurs interviennent : la proximité, les moyens financiers, la qualité des soins, l’environnement, etc. Par ailleurs, nombre de résidents n’ont plus d’autre domicile que celui de la maison de repos. Est-ce humain d’imposer au patient qui demande l’euthanasie une ultime hospitalisation, ou un transfert chez des amis, des enfants, des proches ? Faut-il ajouter de la souffrance en fin de vie ? La clause de conscience ne doit pas se transformer en une objection de conscience, basée généralement sur des fondements religieux, pour s’opposer à une liberté reconnue par la loi.

Jacqueline Herremans,
avocate Présidente ADMD-Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité

Gratuit sur inscription

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